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thème EMI 06
Atelier EMI : y a-t-il une culture numérique ?
Objectif détaillé

S'interroger sur la culture numérique et comprendre comment elle se construit et ce qu'elle implique dans les usages.

Public visé/niveau
Médiateurs en EMI/pour une cible adolescents-jeunes adultes
Auteur
Fabrice Boyer
Compétences mises en œuvre
  • Comprendre les enjeux sociétaux et les implications environnementales des outils numériques pour produire du contenu en ligne.

 

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Description

« Le contenant numérique irradie le contenu numérisé, un phénomène dont nous sous-estimons les conséquences selon le neurologue [Jean-Luc Velay] » Kyrill Nikitine, dans la revue Le Débat, 2020/2

L’informatique, branche des mathématiques à l’origine, s’est non seulement émancipée en devenant une science à part entière, mais cette discipline s’est dilatée jusqu’à devenir une industrie et à enfanter une culture, basée sur le partage.

  1. Faire prendre conscience que la culture numérique est basée sur le partage et le lien

Ce partage ne s’explique qu’en analysant la culture qui le permet. C’est, en effet, l’alliance du calcul et de la pensée, orientée par la mise en relation. Mise en relation entre nos « moi », à travers nos différentes identités qui se construisent désormais à travers le numérique (identité personnelle, professionnelle, militante, voire ludique) ; mise en relation avec les autres ; mise en relation dans l’espace et avec l’espace ; mise en relation temporelle. Il est, du reste, évident que la globalisation et la généralisation de l’anglais comme langue véhiculaire (koinè) ont facilité l’avènement de cette culture.

  1. Comme tout objet culturel, il ne se limite pas à la normativité

La culture numérique est basée sur le code et, par conséquent, sur une normativité bien présente : la technique informatique est comme une colonne vertébrale qui conditionne la culture numérique. Pour autant, c’est bien l’individu qui pense, crée et échange. Au-delà de lui, c’est tout le corps social qui s’empare de la technique pour l’utiliser dans la sphère commerciale, politique, sociale ou culturelle. Cette utilisation laisse donc la porte ouverte à des améliorations comme à des subversions d’un système qui se caractérise par le flux et le changement permanent. Il n’est pas étonnant que la question du partage des contenus, pierre de touche d’une société démocratique, ait été l’un des premiers débats importants : la propriété intellectuelle, telle qu’elle était définie, se trouve, en effet, remise en cause par la culture numérique.

  1. La culture numérique transforme radicalement les usages

D’abord perçue comme un moyen d’étendre un peu plus l’offre disponible d’un monde physique qui se voulait la référence ultime, la culture numérique a rapidement changé la donne, grâce à l’avènement des données de masse et à une architecture dite « des nuages ». Ainsi, au monde physique, s’est substitué un monde augmenté, par le biais des interfaces construites et actionnées désormais par un internet « mobile » (mobile grâce à l’accès 4G et wifi ; mobile grâce aux terminaux puisqu’on est passé de la station assise et de l’ordinateur imposant au nomadisme et au terminal mobile et portatif). L’ère de la donnée de masse, enfin, valorise toutes les traces laissées par les utilisateurs et permet de passer de la recommandation à la prescription.

  1. La culture numérique d’aujourd’hui n’est pas neutre, car les outils ne sont pas neutres.

Les interfaces, imaginées pour être faciles à manier et pour être plaisantes, captent l’attention des utilisateurs, au point que des démarches spécifiques sont mises en place pour accaparer les esprits, dans un but commercial (on parle de l’économie de l’attention, voir fiche Les réseaux sociaux).

Qui plus est, un algorithme n’est jamais neutre. C’est bien ainsi que les GAFAM, en position hégémonique, deviennent les maîtres du jeu et qu’ils influent directement sur le commerce, la culture, la politique même, en se jouant des frontières. Olivier Erztscheid montre comment, par des évolutions incessantes, les GAFAM conduisent les utilisateurs à des opérations strictement prédéterminées, que ce soit sur le plan réglementaire (conditions générales d’utilisation CGU, modifiées unilatéralement) ou technique ( « It's not a Bug, it's a Feature » - Ce n’est pas un bug, c’est une fonctionnalité.)

« Dit autrement, le signalement (positif - likes - ou négatif - flag) est la seule expressivité discursive autorisée et non soumise à l'entière discrétion des CGU (elles-mêmes soumises à l'entière discrétion du propriétaire de la plateforme). On ne peut pas tout dire. On ne peut pas tout montrer. On ne peut pas tout publier. Mais on peut tout liker. On peut tout partager. On peut tout signaler. Le seul authentique espace de "liberté d'expression" dans les plateformes se résume à l'indexicalité de ces signes diacritiques phatiques que sont les likes, partage et autres RT.

Il n'y a pas et il n'y aura jamais de "liberté d'expression" au sein des grandes plateformes, seulement une liberté d'expressivité phatique qui n'est elle-même que le travestissement d'une liberté de faire pression. »

Olivier Erztscheid, « Les caricatures du vagin du prophète : la liberté de faire pression. », Billet du Blog  Affordance, 13 septembre 2020,

Il faut avoir à l’esprit que la culture numérique de masse que nous connaissons provient de la civilisation occidentale et qu’elle a été pensée pour lui correspondre, selon des conceptions américaines (voir le CLOUD Act voté en 2018) ; l’Europe est, pour l’essentiel, dans la sphère d’influence états-unienne. A l’inverse, si de grands états comme la Chine ou la Russie ont bel et bien érigé des barrières numériques pour construire des écosystèmes distincts et limiter l’influence des GAFAM, il n’en demeure pas moins que ces états ne peuvent ignorer le phénomène des réseaux sociaux et pratiquent leur modèle économique sous une forme politiquement contrôlée.

Dans l’esprit des pionniers d’internet, des militants continuent à créer des outils « libres » et à soutenir un mouvement promouvant les « communs » (tout y est partageable, jusqu’aux codes). Leur place est reconnue (on pense à Wikipédia, 6e site le plus consulté au monde), mais leur influence reste limitée.

  1. En conclusion, l’avènement d’un humanisme numérique.

Pour reprendre Milad Doueihi - dans son ouvrage Qu'est-ce que le numérique ? publié en 2013 - et condenser ce qui vient d’être dit, le numérique, c’est « un écosystème dynamique animé par une normativité algorithmique et habité par des identités polyphoniques capables de produire des comportements contestataires. »

 

Ce qui en fait un humanisme à part entière n’est autre que son caractère de sociabilité, associé à son rôle dans la transmission et dans l’information. Cet humanisme nouveau (M. Doueihi le date de 2006, création de la première version des réseaux sociaux), redistribue non seulement les concepts, les catégories et les objets, mais encore les pratiques, dans un environnement nouveau.