- Connaître et analyser les médias, notamment presse et médias sociaux, et leurs enjeux sociaux, culturels, politiques et économiques;
- Connaître les nouveaux formats médiatiques et les nouvelles formes de journalisme;
- Savoir appréhender les enjeux de citoyenneté liés à l’information et au numérique.
L’autrice et le contexte
Lea Korsgaard est une journaliste et autrice danoise, née en 1979. Diplômée par la Syddansk universitet en journalisme et par The New School (New-York city) en sociologie, elle est passée par les rédactions de deux grands quotidiens danois Berlingske et Politiken.
Aujourd'hui, elle est rédactrice en chef de Zetland, dont elle est co-fondatrice avec Hakon Mosbech, Silke Bock et Jakob Moll. Il s’agit d’un quotidien numérique qui a pour ambition de remettre en perspective l’information. Elle s’est investie également dans la formation des jeunes journalistes.
En tant qu’autrice, elle a notamment écrit Orgasmeland, traitant de l’irruption de la révolution sexuelle au Danemark, avec l’arrivée de Wilhelm Reich, dans les années 1930 (2014).
Son petit ouvrage pour lutter contre la désinformation, Le mégaphone ment : manuel citoyen de survie à l’ère du mensonge, provient du choc qu’a constitué pour les démocraties européennes l’arrivée au pouvoir de D. Trump à la tête des États-Unis d’Amérique, quelques mois après le « oui » britannique au Brexit. L’ouvrage a été soutenu par l’Association des bibliothèques danoises et a été distribué dans les bibliothèques du pays.
Analyse du livre
Lea Korsgaard part de l’ouvrage qui a durablement marqué la profession de journaliste au Danemark, celui de Nils Ufer, Le journaliste mis à nu, paru dans les années 1980. Voici comment elle le résume :
« Dans ce livre, Nils Ufer décrivait son idéal du journalisme, qu’il appelait le rapporteur : un journaliste, écrivait-il, ne doit pas se parer des plumes du paon, ni de titres ronflants ; il ne doit pas tromper le lecteur, en tablant sur sa propre analyse, sa propre interprétation, ses propres penchants ou ses propres arguments ; il doit simplement écrire au fil de la plume et rapporter ce qui se passe dans le monde. Avec humilité et sobriété, il doit tenir informé le lecteur des dernières nouvelles et de rien d’autre. »
Le journaliste doit se borner à être le greffier de la réalité, en rapportant des faits. Lea Korsgaard passe rapidement alors en revue l’histoire du journalisme au Danemark, pour expliquer la raison pour laquelle cette thèse s’est imposée et pose comme problématique le fait que l’évolution récente du monde rend ce positionnement caduc : la neutralité ne serait plus de mise, car le combat a pour enjeu la vérité.
Lea Korsgaard propose trois raisons au bouleversement actuel :
- la révolution technologique avec l’évolution exponentielle des contenus et des conditions de production, qui a eu pour conséquence l’effondrement du modèle économique des médias établis ;
- la rébellion contre toute verticalité, qui a mis à mal les institutions et la vision traditionnelle des choses, et par là-même, les messages véhiculés par ces institutions.
- le débat public, enfin, a longtemps ignoré une réalité manifeste qui a érodé une grande partie de la confiance que la classe moyenne occidentale plaçait dans en un avenir meilleur.
Lea Korsgaard conclut sur un constat : les « vérités alternatives » représentent désormais un créneau porteur dans un « marché » de l’information. C’est ce qu’a bien compris Donald Trump. L’autrice, elle, met en garde solennellement les lecteurs : si nos démocraties traversent une crise, elle est ontologiquement fondamentale, parce qu’elle révèle la remise en question de la confiance qui lie chaque individu à une communauté dont il partage le destin.
Lea Korsgaard propose sept pistes à ses lecteurs, pour transformer le regard qu’ils portent sur l’information :
- Le journalisme n’a plus comme tâche principale d’apporter l’information. Chacun peut constater la compétition effrénée qui existe entre médias pour accrocher l’attention du lecteur-auditeur-spectateur ; compétition imposant une accélération et un nivellement inquiétant de l’information.
- Il faut se fier à des femmes et à des hommes qui font preuve d’une sagesse dans l’action. Ce type d’interlocuteur ne se contente pas de décrire : il analyse les faits et les éclaire. Il fait reposer son raisonnement sur une base factuelle solide et non sur des arguments à forte charge émotionnelle.
- Il faut différencier le fait d’une opinion. Ne pas laisser la vérité en suspens et l’opinion s’imposer dans le débat : et si les climatologues se trompaient ? Et si la terre n’était pas ronde ?
- Il est important de toujours replacer dans son contexte une information.
- Il ne faut pas confondre journaliste et commentateur dont la présence augmente dans les médias.
- La réalité n’est pas uniformément noire et, par conséquent, elle ne peut se concentrer consciemment sur les seuls scandales et problèmes, même si c’est le meilleur moyen pour décrocher une distinction dans la profession.
- Il faut se méfier du mensonge, alimenté par la défiance qui est désormais palpable partout.
Les réseaux sociaux n’ont-ils pas été accusés de n’être que des chambres d’écho, reposant sur des algorithmes ? Aussi est-il indispensable de saisir le point de vue de l’autre et de lire-écouter-voir la presse largement. Malgré l’évident confort que procure internet, Lea Korsgaard invite ses concitoyens à se retirer en eux-mêmes, pour réfléchir et construire leurs propres valeurs.
« N’accusons pas la technologie d’être la cause du débat public, tant que nous n’avons pas au moins essayé de restaurer l’art même du débat –peut-être en commençant par nous isoler de temps en temps du brouhaha. Et puis, asseyons-nous un peu, loin des vociférations. Ouvrons la fenêtre. Lisons un livre. En paix. »