Vincent Casanova enseigne l’histoire-géographie et l’histoire des arts au lycée Léon Blum de Créteil (94) depuis 2005. Il a en parallèle exercé de 2010 à 2017, au Microlycée 93, structure publique de retour à l’école pour élèves décrocheurs en Seine-Saint-Denis, dont il a été le co-coordonnateur de 2014 à 2017. Dans ce cadre, il a notamment participé au développement de l'enseignement de la cartographie des controverses dans le secondaire. Depuis 2016, il coanime le cours de master Cartographie des controverses à l'École du management et de l’innovation (Sciences Po Paris), et le coordonne depuis 2018. De 2017 à 2019, il a été ingénieur pédagogique chargé du développement du programme Forccast dans le secondaire. Il y exerce maintenant en qualité de chercheur post-doctorant. Il a été membre de la revue Vacarme jusqu'à son arrêt en 2020 et il est aujourd'hui directeur de collection aux éditions du Seuil.
1 – Quelle est la différence entre débat et controverse et qu’est-ce que la cartographie des controverses ?
De nombreux sujets sont débattus dans l’espace public ou la sphère médiatique mais il est souvent difficile de cerner ce qui fait profondément controverse. Celle-ci se réfère à des désaccords liés à des incertitudes en matière de savoirs spécialisés. Tout ce qui fait publiquement débat n’est pas nécessairement une controverse. Ainsi, la réalité du réchauffement climatique fait très largement consensus parmi les climatologues et pourtant il arrive encore qu’on entende des débats à ce sujet. La cartographie des controverses est un travail d’enquête qui consiste à dresser et situer l’éventail des positions qui s’énoncent sur un sujet controversé. C’est une façon de mettre l’esprit critique à l’épreuve.
2 – Vous souhaitez, par le travail sur la cartographie des controverses, faire tomber les barrières entre sciences sociales et sciences dures. Quel est l’enjeu de cet objectif ?
L’enjeu est double. Il s’agit d’abord d’un enjeu épistémologique. Il est important de rappeler à quel point dans notre monde, il est difficile de séparer les savoirs qui relèvent des sciences de la nature et ceux qui relèvent des sciences de la société. Cet enjeu est à l’origine même de la démarche initiée à Mines ParisTech et à Sciences Po, dont l’objectif était d’initier les ingénieurs à l’inscription dans la société de leurs savoirs et de montrer aux étudiants de Sciences Po qu’il est difficile d’appréhender de nombreux sujets au cœur de la vie politique sans s’intéresser à certains aspects scientifiques. Le deuxième enjeu, plus modeste a priori, est que ce type de démarche contribue à développer les pratiques collaboratives parmi les enseignants et à l’enrichissement de leurs pratiques professionnelles.
3 – Comment choisissez-vous les sujets que vous traitez et adaptez-vous votre démarche pédagogique en fonction des élèves ?
La question du choix des sujets est fondamentale, très vaste et souvent difficile. Au lycée, je choisis souvent les sujets en fonction de contraintes de temps. J’évite des sujets nécessitant d’avoir des prérequis très avancés et dont une non-maîtrise empêcherait de clarifier les principaux nœuds de la controverse. Je suis déjà satisfait quand ils parviennent à prendre la mesure de cinq positions différentes ; dès lors, on a déjà échappé à un raisonnement manichéen. Bien sûr, avec les étudiants de Sciences Po, il est possible d’aborder des sujets bien plus complexes. Quant à la démarche pédagogique, elle n’est pas très différente avec des lycéens ou avec des élèves de master. La différence principale, c’est le degré d’approfondissement des sujets. Le volume des enquêtes réalisées par les étudiants sera plus important et les sites web qu’ils élaborent à partir de ces enquêtes, plus aboutis.
4 – Comment les élèves s’approprient ce travail sur la cartographie des controverses ? Voyez-vous une évolution au fil de la démarche ?
Au lycée, je prends soin de tisser une relation de confiance avec les élèves avant d’aborder cette démarche. Ils sont généralement assez contents d’explorer des sujets très actuels ; le format pédagogique se démarque aussi des cours classiques fondés quasi exclusivement sur des savoirs établis. Les lycéens - à l’image de l’espace public d’ailleurs - réagissent souvent aux questions d’ordre moral, et envisagent toujours les questions sous la forme d’un « faut-il ? » qui induit mécaniquement une alternative binaire entre « il faut » ou « il ne faut pas ». Notre travail leur permet de faire un pas de côté, d’aller regarder de plus près ce qui se discute dans la fabrication des connaissances. Cela conduit à sortir de réactions primaires et non informées. Mais c’est un travail qui se fait au long cours, par petites touches et réitération, du secondaire à l’enseignement supérieur. Mon objectif est notamment qu’à la fin de notre travail déjà, les lycéens soient capables d’évaluer ce qui relève d’une controverse et ce qui n’en relève pas. Les étudiants de Sciences Po, eux, ont choisi de s’inscrire à ce cours. Ils en comprennent rapidement l’intérêt pour eux car ce travail les fait monter très vite en compétences sur des sujets spécifiques pour lesquels ils acquièrent une expertise que peu de personnes ont dans la population française, et même parmi les enseignants.
Propos recueillis par Véronique Heurtematte le 7 juillet 2021