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Sophie Jehel
© Alain Saey
Biographie

Sophie Jehel, est aujourd’hui maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 8, chercheure au CEMTI, Centre d'études sur les médias, les technologies et l'internationalisation, chercheure associée au CARISM.

Elle a un parcours un peu atypique à l’université, ayant travaillé pendant 15 ans au Conseil supérieur de l’audiovisuel comme chargée de mission sur les questions de déontologie des médias et de protection des mineurs. Elle a ensuite souhaité conduire des recherches indépendantes notamment sur la question des pratiques médiatiques des jeunes et c’est pourquoi elle a réalisé une thèse et rejoint l’université Paris 8 depuis 2011. Elle vient de soutenir son habilitation pour diriger des recherches qu’elle a construite à partir d’une enquête sur la réception des images violentes, sexuelles et haineuses par les adolescents sur les plateformes numériques. Cela lui a permis de revenir plus précisément sur deux grandes questions : la place des adolescents dans l’économie numérique, et la place des émotions ou plutôt des affects dans le modèle économique des plateformes numériques. A partir de là, on peut penser l’instrumentalisation des émotions des usagers par ces entreprises médiatiques mais aussi les politiques publiques de régulation des contenus qu’elles véhiculent, et l’éducation aux médias et à l’information, qui est devenue depuis près de 10 ans, un des outils principaux des politiques publiques numériques.

Sophie Jehel, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 8, chercheure au CEMTI.
Interview

1 – Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à l’éducation aux médias et à l’information ?
Le fait de travailler sur la protection des mineurs dans les médias m’a conduite très tôt à réfléchir à la fois à la réalité et à la diversité des réceptions des contenus, et à la responsabilité des enseignants et des éducateurs dans l’équipement intellectuel mais aussi émotionnel des jeunes. L’éducation aux médias constitue aussi pour moi une passerelle entre les univers de la recherche académique et les terrains de l’éducation nationale et des associations. Je suis venue à l’université dans l’idée de participer au travail de réflexivité et de formation de la société civile, et non pour rester dans un environnement clos.

2 – En quoi les pratiques numériques juvéniles sont-elles différentes de celles des adultes ?
Leurs pratiques sont différentes au sens où les jeunes ont par définition moins d’habitudes d’usage et sont donc plus faciles à mobiliser sur des innovations médiatiques. Ils ont aussi moins d’inhibitions et peuvent être plus vulnérables face à certaines stratégies marketing et à certains contenus, cela dépend de la médiation parentale dont ils bénéficient, de la précocité et de l’intensité de leur exposition aux médias, de leurs vulnérabilités psychiques également.

3 - Comment qualifieriez-vous le regard porté par les adultes sur les pratiques numériques des adolescents ?
Le regard des adultes est souvent imprégné par les discours généralisants et souvent chargés des peurs qui circulent dans les médias mainstream à propos des jeunes. Nous constatons depuis plusieurs décennies que les discours relatifs aux jeunes les présentent le plus souvent comme des sources de danger, des victimes, et plus rarement des génies. Il est rare qu’ils fassent place à la diversité de la jeunesse. Par ailleurs, les adultes qui se prémunissent contre ces discours catastrophistes sont parfois loin eux aussi des réalités vécues par les jeunes. 

4 – En quoi l’éducation aux médias et à l’information peut-elle aider au dialogue entre adultes et adolescents et faire évoluer les perceptions réciproques sur les pratiques numériques ?
L’éducation aux médias et à l’information doit être plus encore que toutes les autres disciplines enseignées à l’école un espace de dialogue, permettant de mettre à jour les processus émotionnels et sociaux qui traversent la réception des contenus médiatiques. Mais elle doit aussi être un espace d’apprentissage à partir des données de la recherche internationale sur les médias et sur les grandes plateformes numériques.

 

Propos recueillis par Véronique Branchut-Gendron & Julia Morineau-Éboli

Le 9 mars 2021.