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Samuel Coavoux
© Cédric Vigneault / Enssib
Biographie

Entretien avec Samuel Coavoux, sociologue, enseignant-chercheur à l'École Nationale de la Statistique et de l'Administration Économique. Ses recherches portent sur la réception des biens culturels, les industries culturelles et les technologies numériques.

Samuel Coavoux, sociologue
Interview
  • Vous êtes sociologue. Vos recherches portent notamment sur la différenciation sociale des pratiques vidéoludiques. Vous mettez en lumière la contribution des jeux vidéo à la construction des identités de genre. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
    L’adolescence est un moment d’autonomisation de la sphère familiale, où le groupe de référence change, de la famille aux pairs, les amis et les camarades principalement. La culture est un élément central de cette mutation, qui permet de construire une identité propre, comme l’a montré Dominique Pasquier. On fonde alors ses goûts dans son nouveau groupe de référence, les pairs. Or, les réseaux amicaux, à l’adolescence, sont très fortement genrés, alors que, dans la famille, frères et sœurs partagent plus volontiers les loisirs. Cela conduit à une différenciation prononcée des goûts culturels, les pratiques devenant associées à un genre – aux filles la lecture, aux garçons les jeux vidéo – c’est la thèse défendue par Sylvie Octobre et ses collègues dans une étude longitudinale de la culture des adolescents. Les filles qui souhaiteraient continuer une pratique engagée des jeux vidéo se heurtent par exemple à la difficulté de trouver des ressources dans leurs cercles d’amis : leurs copines jouent peu, ou à des jeux différents, et former des amitiés avec des garçons n’est pas simple, comme le met en évidence Jessica Soler-Benonie.
     
  • Le développement des jeux vidéo sur smartphone a modifié et massifié les usages : tout au long de la vie, dans les différents milieux sociaux, pour les femmes comme pour les hommes.  Est-il important selon vous de former à l'éducation aux jeux vidéo dans le cadre de l'éducation aux médias ?
    Les jeux vidéo sont aujourd’hui un média de masse. On estime qu’environ six personnes sur dix ont une pratique au moins occasionnelle, tout âge confondus. Surtout, les jeux sont omniprésents chez les enfants et les adolescents. Cela plaide effectivement pour une éducation aux médias qui inclut les jeux vidéo. Mais au-delà de l’importance quantitative de ce phénomène, les jeux vidéo sont à bien des égards à l’avant-garde des transformations des industries culturelles. Par exemple, on voit se généraliser dans ce secteur un modèle économique d’abonnement mensuel, ou encore de free-to-play (accès gratuit au jeu, suivi d’achat d’avantages à l’unité, par des micro-transactions) qui a radicalement changé la façon dont les jeux sont conçus et appropriés. Aujourd’hui, l’important pour les éditeurs est de retenir les joueurs le plus longtemps possible. Il est important de donner les moyens de repérer et de critiquer ces modèles.
     
  • Selon vous, quelles médiations seraient à imaginer autour des jeux vidéo, en milieu culturel (bibliothèques) ou scolaire ?
    Il est difficile pour un sociologue de répondre à cette question : je n’ai pas l’expérience des médiateurs en la matière. Il me paraît important de montrer et de parler de tous les jeux, sans vouloir distinguer a priori bons et mauvais jeux à partir de critères externes, notamment esthétique ou narratif. La qualité d’un jeu réside aussi dans ce que l’on appelle son gameplay, dans les prises qu’il offre aux joueurs. En la matière, les jeux les plus populaires ne sont pas à négliger. En outre, au-delà des jeux eux-mêmes, il est je crois important de parler plus généralement des enjeux économiques et sociaux de l’industrie. Aujourd’hui, parler des jeux est aussi une manière de parler de la façon dont les industries numériques orientent notre attention par exemple.
     
  • Vos recherches montrent que la pratique des jeux vidéo, comme celle des jeux classiques, contribue à la socialisation des joueurs. Est-ce que ces socialisations diffèrent ?
    Les jeux de société, parmi lesquels on peut compter à la fois les jeux traditionnels (comme les échecs, la belote, etc.) et ce que Gille Brougère appelle les « jeux d’édition » soumis à copyright et dont le matériel est indissociable des règles (Monopoly, Scrabble) font aujourd’hui l’objet d’une pratique plus intergénérationnelle que les jeux vidéo. Ils mettent les générations d’accord parce qu’ils ont peu changé, que tout le monde en connaît les règles, et parce que le hasard égalise les chances entre enfants, parents et grands-parents. L’une des conséquences de cette distinction est que les jeux de société ont aujourd’hui, chez les adultes, un public plus féminin : ce sont les femmes qui assument encore aujourd’hui la part la plus importante du travail de soin et d’éducation des enfants.
     
  • Une question posée sur le chat de la chaîne youtube : La pratique des jeux vidéo peut-elle être modifiée par le métaverse ?
    Les jeux vidéo ont déjà connu le métavers. Dans les années 2000, le monde virtuel Second Life était particulièrement étudié en tant que tel. Les promesses étaient les mêmes qu’aujourd’hui, mais après un engouement initial, l’intérêt pour les mondes virtuels a rapidement décliné. Il est difficile de savoir s’ils fonctionneront cette fois. D’un côté, les technologies de simulation évoluent ; de l’autre, la spéculation sur les cryptomonnaies est un moteur de l’engouement actuel sans que l’on puisse savoir si elle va durer – elles suscitent de fortes résistances dans les communautés de joueurs. En tous cas, les jeux vidéo ont déjà intégrés de nombreuses innovations liés aux mondes virtuels et ne seront sans doute pas le secteur le plus touché en cas d’adoption massive du métavers.
     

Propos recueillis par Mathilde Larrieu le 11/02/2022