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Sylvie Lecherbonnier
Biographie

Sylvie Lecherbonnier est journaliste indépendante, rédactrice en chef du magazine Chut ! et formatrice. Elle a commencé sa carrière à l’AEF sur des sujets liés à l’éducation et à la formation avant de rejoindre le magazine L’Etudiant, dont elle a été rédactrice en chef des sites internet. Elle collabore régulièrement à différents quotidiens et magazines (Le Monde, Sciences et Avenir, Phosphore…). Sylvie Lecherbonnier est associée aux journées d’études organisées par l’Enssib et l’Inspé de l’Académie de Lyon au titre de sa contribution du magazine Chut !, média indépendant  qui interroge l’impact du numérique sur nos sociétés et participe à sa vulgarisation. Chut ! questionne ainsi tous les thèmes, de l’écologie à la santé, et promeut un numérique inclusif et ouvert.

Crédit photo : Valentine Zeler

Conversation sur la culture numérique avec Sylvie Lecherbonnier, journaliste, rédactrice en chef de Chut ! et formatrice, à propos de l’éducation aux médias et à l’information (EMI)
Interview

Dans le cadre de la journée d’étude organisée le 25 novembre 2020 par l’Enssib et l’Inspé de l’Académie de Lyon, Sylvie Lecherbonnier, intervenante, précise la notion de culture numérique et explique pourquoi l’éducation aux médias et à l’information (EMI), sujet complexe et passionnant, concerne chacun d’entre nous.


1/ Comment définissez-vous la culture numérique ?
Sylvie Lecherbonnier : La culture numérique est une notion difficile à définir car elle est à la fois très large, assez nouvelle et en construction. Elle touche à la compréhension du fonctionnement des outils numériques que nous utilisons tous les jours, sans savoir ce qu’il y a derrière. Parmi les questions que l’on peut se poser : qu’est-ce qu’un algorithme ? Comment fonctionnent les réseaux sociaux ? Il s’agit finalement de mieux connaître des outils que nous utilisons tous les jours, pour ne pas se laisser piéger. Ainsi, les recommandations des algorithmes peuvent nous enfermer dans ce que nous aimons déjà, ce que l’on ne sait pas forcément. La culture numérique permet de comprendre de quoi on parle et éveille notre conscience à propos d’outils que nous utilisons sans mode d’emploi depuis 10 ou 15 ans. Cette compréhension est à mon sens fondamentale, et c’est ce que j’essaie de transmettre dans le magazine
Chut !. Un média indépendant créé par Aurore Bisicchia et Sophie Comte pour interroger les usages du numérique. Un site internet mais aussi un magazine papier trimestriel pour prendre le temps et du recul.

 

2/ Dans le cadre de votre activité, quels rapports entretenez-vous avec cette culture numérique ?
S. L. : La culture numérique est mouvante, il ne cesse d’y avoir de nouvelles applications, de nouvelles fonctionnalités. On parle par exemple désormais de plus en plus d’IA (intelligence artificielle), sans savoir véritablement de quoi il s’agit. Avec Chut !, la culture numérique fait partie des sujets dont je traite en tant que journaliste.  A côté ou pour mes articles, je m’informe énormément : je fais de la veille sur le net et les réseaux sociaux, je consulte et je produis des interviews de chercheurs qui travaillent sur ces sujets… Je sollicite le regard des sciences humaines, notamment de chercheurs en sciences de l’information ou de l’éducation, comme Pascal Plantard, Laurence Allard et bien d’autres. Il faut perpétuellement exercer sa curiosité.

 

3/ Quels sont, selon vous, les enjeux de l’information en contexte numérique ?
S. L. : Divina Frau-Meigs écrit que “la probabilité qu’une fake news soit retweetée est 70% plus élevée qu’une vraie information” dans « Faut-il avoir peur des fake news ? » (La Documentation française). Comment alors une vraie information peut-elle exister au milieu des fake news ? Comment les lecteurs peuvent-ils faire le tri entre une information de qualité et une opinion ? Et comment, pour les médias, aller jusqu’aux lecteurs, alors que nous évoluons dans un contexte de défiance vis-à-vis des médias traditionnels ?  Ces derniers savent produire de l’information de qualité, ils savent également proposer de nouveaux formats. Mais toucher les lecteurs, c’est beaucoup plus compliqué qu’avant. Notamment parce qu’il n’y a pas une culture numérique partagée mais des cultures numériques très diverses et que chacun s’informe selon ses propres canaux désormais. L’EMI a donc beaucoup plus d’importance qu’auparavant et ne concerne pas que les jeunes, les propagateurs de fake news étant souvent des personnes plus âgées. L’enjeu majeur est donc d’apprendre à s’extraire de cette infobésité dont on parle pour prendre de la hauteur. Pour cela, il faut instaurer un autre rapport au temps, qui est celui de l’analyse, largement contredit dans cette époque de l’immédiateté. L’apprentissage est plus que nécessaire pour favoriser des usages raisonnés.

4/ Comment l'éducation aux médias et à l’information peut-elle former à la compréhension de ces enjeux ?
S. L. : L’EMI doit donner les clefs pour se repérer. Par exemple, ce qu’est une information par rapport à une fake news ; ce que sont les algorithmes ou les réseaux sociaux… Pour cela, dans les établissements scolaires, des ateliers sont organisés pour apprendre à fabriquer de l’information ou encore pour créer un journal. Ce type d’exercice permet de comprendre qu’une information doit être vérifiée et sourcée, et que cela prend du temps. C’est d’ailleurs bien plus long et difficile que de diffuser une fake news !


5/ En quoi cette éducation se distingue-t-elle d’un apprentissage traditionnel ?
S. L. : Il faudrait en fait un apprentissage traditionnel des grands principes du numérique. Il ne s’agit pas d’apprendre à coder mais que chacun puisse disposer d’éléments de compréhension. La culture numérique devrait prendre davantage de place dans les programmes scolaires. Pour éviter les dérives, l’EMI doit faire partie des enseignements du XXe siècle. 

6/ Pourquoi les bibliothèques peuvent-elles participer à l'acquisition par leurs publics d'une culture numérique ?
S. L. : L’EMI concerne toutes les générations et pas seulement les jeunes. Les établissements scolaires ne sont donc pas les seuls endroits qu’il faut investir pour bâtir une culture numérique commune. Or, les bibliothèques sont des lieux de vie et d’accès à l’information largement ouverts, qui peuvent toucher tous les publics et mener ainsi des actions à une large échelle. Ce sont, me semble-t-il, des lieux où cette culture numérique commune peut se construire.

 

Propos recueillis par Véronique Branchut-Gendron,
le 24 novembre 2020