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© Frédéric Deroche
Biographie

Conférence d'Olivier Le Deuff est professeur des Universités en sciences de l’information et de la communication à l’Université Bordeaux Montaigne. Ses travaux portent sur les humanités digitales, l’épistémologie de l’information, les littératies et les enjeux autour de l’évaluation de l’information et de l’OSINT.

Entretien avec Olivier Le Deuff, professeur des Universités en sciences de l’information et de la communication à l’Université Bordeaux Montaigne
Interview
  • Qu’est-ce que l’OSINT et en quoi cette méthode de recherche peut-elle apporter une réponse à la désinformation ? 

Difficile de répondre désormais en peu de mots pour décrire ce qu’est l’OSINT ou open source intelligence. A la base, c’est le principe selon lequel il est possible de trouver des renseignements pertinents en ligne sans avoir à aller sur le terrain pour le faire. Par extension, on peut considérer qu’il est possible d’obtenir plus d’information sur le web et les médias sociaux notamment dans des circonstances dans lesquelles les déplacements sont impossibles ou rendus difficiles. L’OSINT s’inscrit quelque part dans deux perspectives, l’une est plutôt de nature réactive comme l’explique Rayya Roumanos : il s’agit de vérifier une information, ou de combattre la désinformation notamment celle émanant de pays comme la Russie.

La seconde est proactive et cherche à analyser plus profondément les causes d’un évènement notamment s’il est tragique pour en rapporter le contexte et parvenir à identifier bien souvent les victimes, mais aussi les bourreaux comme c’est le cas dans le massacre de Boutcha en Ukraine.

Je pense qu’il ne faut pas absolument faire de l’OSINT une arme absolue contre la désinformation, mais plutôt considérer qu’elle peut faire partie d’une logique qui veille à la qualité de l’information.

  • Si à chaque avancée pour lutter contre la désinformation, les industriels de la désinformation renforcent leur action, développer ses compétences informationnelles apparaît indispensable. Comment proposer une formation tout au long de la vie pour permettre aux individus d’acquérir les compétences informationnelles indispensables pour évoluer dans un contexte informationnel en constante évolution ?

Je ne suis pas certain qu’il soit possible d’envisager une formation tout au long de la vie pour tous les individus, en tout cas au sens de la professionnalisation. 

Si on se place du côté des professionnels de l’information, le mouvement de mise à jour des compétences n’a de cesse de devenir essentiel depuis le développement du web. Il faut donc régulièrement remettre à jour ses compétences techniques et la compréhension de l’environnement informationnel pour se montrer capable de distinguer la bonne information de la mauvaise. Sur ce point, l’essentiel demeure de montrer ce qu’est une information de qualité et de rappeler qu’elle est toujours issue de processus construits, qu’elle n’est jamais neutre, mais qu’elle se doit d’être objective.

Pour le reste, il faut conserver des bases théoriques en matière de sciences de l’information et de la communication, notamment en documentation. Finalement, dès les premières pages du Traité de Documentation, Paul Otlet mentionne les qualités essentielles d’une bonne information. Ces principes demeurent encore actuellement.

Ensuite, il y a une tendance à fantasmer beaucoup sur des capacités d’esprit critique qui sont au final mal définies et dont le principe est mobilisé par tous les acteurs, y compris les conspirationnistes et ceux qui prétendent lutter contre des censures pour prôner une liberté de parole qui repose souvent sur la possibilité de tout dire et surtout de ne pas étayer les propos par des faits.

Je crois que l’enjeu est d’envisager un dépassement des principes de l’EMI par la mise en place d’une ambition qui est celle de former à une culture technique et politique de l’information. Mais là encore, ce n’est pas totalement nouveau, c’est ce que j’avais cherché à montrer dans ma thèse sur la culture de l’information en rappelant qu’il s’agissait d’atteindre une forme d’état de majorité au sens d’Emmanuel Kant dans Qu’est-ce que les lumières, mais aussi au sens de Gilbert Simondon comme état de majorité face aux objets techniques.

 

  • Parmi les compétences informationnelles liées à l’OSINT, vous mentionnez la capacité à enquêter. En quoi est-ce une compétence essentielle pour la maîtrise de l’information ?

Disons qu’il s’agit de comprendre les mécanismes de l’enquête et de l’investigation notamment journalistique. Cela suppose donc de vouloir analyser les méthodes déployées par certaines rédactions et ONG pour en apprécier la qualité, mais aussi en percevoir les éventuelles limites. 

Par conséquent, ce type d’investigations se démarquent par leur qualité et les moyens requis. Ce n’est pas une simple vidéo avec incarnation sur TikTok, mais bel et bien un travail d’ampleur qui requiert des compétences pour savoir les apprécier.

Mieux encore, il s’agit de vouloir dépasser bien souvent les évidences pour aller comprendre des dysfonctionnements et donc s’inscrire dans une démarche qui consiste aussi à demander des comptes. Il faut élargir la perspective OSINT pour l’inscrire dans des démarches beaucoup plus larges tant il s’agit de pouvoir non seulement évaluer l’information et la manière dont elle est construite et de distinguer un travail de haute qualité d’une production d’information médiocre, mais encore de pouvoir valoriser les enquêtes qui réclament des connaissances avancées. Par conséquent, il s’agit aussi de valoriser les travaux de recherche, d’ONG ou journalistiques qui cherchent à comprendre le fonctionnement des plateformes et leurs biais afin que les dirigeants soient obligés de rendre des comptes.

L’enjeu est donc à terme de promouvoir les investigations médiatiques qui mettent à jour des informations importantes pour les citoyens, informations étayées et vérifiées, face aux discours pseudo-experts de chroniqueurs de télévision.

Pour résumer, il s’agit plus de se montrer capable de comprendre le travail d’investigation que de nécessairement pouvoir le réaliser soi-même. C’est un peu comme apprécier la démonstration d’Hercule Poirot plutôt que d’écouter la logorrhée d’un Pascal Praud.