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Biographie

Conférence "Éducation à la citoyenneté : sens et usages d'hier à aujourd'hui", donnée lors de la journée d'étude "L’EMI forme-t-elle des citoyens ?", à l'Enssib le 29/11/2023 

Entretien avec Céline Chauvigné, professeure des universités en Sciences de l'éducation et de la formation à l'université de Nantes
Interview

Vos recherches portent sur les alternatives éducatives en milieu scolaire, sur l’éducation à la citoyenneté et le sens, les usages et les postures dans l’approche "des éducations à". En 2020, vous avez notamment publié avec Michel Fabre l’ouvrage collectif L'éducation et les Lumières : Enjeux philosophiques et didactiques contemporains. Raison et passions.

  • Quand est apparue pour la première fois la notion de citoyenneté ? 

Les fondements de la citoyenneté sont apparus sous l’Antiquité. La notion de citoyen (Civis en latin) implique la possession de droits dont sont exclus les autres. A Athènes où la naissance de la démocratie apparaît au Vème siècle, « on est citoyen de naissance », une citoyenneté limitée qui fonde la société sur l’inégalité privilégiant l’origine des individus et l’ethnicité. Elle repose, dans la Grèce Antique, sur la reconnaissance par tous de l’autorité de la loi élaborée par l’ensemble et sur la participation à l’élaboration et à l’application de celle-ci (Aristote, la Politique). L’individu ne doit obéissance qu’aux lois de la cité.  Réunis en un lieu unique, l’Agora, les citoyens y débattent des questions relatives à la cité (Guerre, commerce, organisation de la vie publique, etc.). Cette citoyenneté est donnée à tous les hommes libres mais exclut les femmes, les esclaves et les « métèques » considérés comme étrangers.

  • L’évolution récente de la citoyenneté en fait un outil pour mieux partager les valeurs de la république. Comment cela s’articule avec l’enjeu d’émancipation de l’individu ? 

La citoyenneté demeure un outil essentiel pour partager les valeurs de la République mais elle requière des conditions pour en faire un véritable enjeu d’émancipation et non simplement une adhésion à ces valeurs posées comme unifiées et partagées. D’une part, il faut pouvoir sortir d’un enseignement qui envisage les valeurs comme de simples contenus à transmettre et en faire un réel objet de savoir et d’apprentissage. Cela requiert une confrontation de sources scientifiques, juridiques, etc. dans une dimension critique et donc de donner la possibilité aux élèves de débattre pour construire ensemble ces valeurs. D’autre part, ces valeurs ne peuvent être émancipatrices si elles ne sont pas éprouvées dans le parcours scolaire des élèves à travers des expériences vécues. Les élèves doivent pouvoir en dehors de la classe créer des collectifs, organiser leur vie de collégiens et lycéens et être guidés par des personnels scolaires pour réaliser des évènements, manifestations dans un souci de vie collective ou à des fins solidaires ou caritatifs. Vouloir l’égalité et la partager, c’est expérimenter la démocratie comme mode de vie, s’engager, prendre des responsabilités, être capables de décision pour le bien commun, etc. L’implication dans des activités partagées et dans une relation réciproque, c’est vouloir l’accomplissement de soi et le développement d’un commun. Les approches de la citoyenneté en milieu scolaire ont pour finalité le développement de dispositions permettant aux élèves de devenir progressivement des acteurs autonomes, responsables de leur vie personnelle et sociale, capables d’agir au sein du monde auquel ils se destinent.

  • L’éducation à la citoyenneté doit-elle prendre en compte les contextes de diffusion de l’information (comme les réseaux sociaux) et les pratiques des adolescents ?

L’école est un lieu de transition entre un espace privé celui de la famille et l’espace public, celui de la société où l’élève, jeune adulte devra s’inscrire dans un futur proche pour y vivre sa vie. Comment alors envisager une formation intellectuelle et citoyenne de ces jeunes en faisant abstraction du monde dans lequel ils passent une partie de leur vie ? Si la question des réseaux sociaux peut effrayer parfois par ses contenus (fake news, informations non vérifiées, etc.), ses usages (harcèlement, invectives, etc.) et ses effets (troubles, révoltes, etc.), elle inonde le quotidien des adolescents qui sont livrés à des informations brutes sans pouvoir parfois identifier le vrai du faux, les opinions, les croyances, etc. L’éducation à la citoyenneté par le biais par exemple de l’enseignement moral et civique (EMC) ou l’éducation aux médias et à l’information (EMI) doit permettre ce décryptage des sources, savoir comment se fabrique l’information, analyser les images d’actualité, évaluer les types d’information et de discours, sensibiliser au droit à l’image mais aussi travailler la liberté d’expression, créer des supports collectifs (journaux scolaires, blogs, webradio, etc.). Peut-on tout dire, tout écrire, tout montrer ? On sait à quel point ces éléments sont sensibles. L’éducation à la citoyenneté est un construit social … et ça s’apprend ! La citoyenneté à la fois juridique (disposition de droits civils et politiques), politique (possession d’une part de souveraineté politique) et sociale (intégration de normes et de valeurs) demeure constitutive de l’homme et augure de sa capacité à vivre avec autrui dans un monde commun. L’école participe de cette institutionnalisation du collectif et constitue l’un des vecteurs de réalisation de ce projet de société.