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Thomas C. Durand
Biographie

Vulgarisateur des sciences, animateur de la Tronche en Biais sous le nom d’Acermendax, Thomas C. Durand est l’auteur d’ouvrages sur la science et l’esprit critique ("L’ironie de l’évolution", Seuil 2018. "Connaissez-vous l’homéopathie?", Éditions Matériologiques, 2019. "Quand est-ce qu’on biaise ?" Humenscience, 2019, "La science des balivernes", à paraître en 2021, chez Humenscience).
Il est co-fondateur et directeur de l’Association pour la Science et la Transmission de l’Esprit Critique (ASTEC), Romancier et dramaturge, il republie "Premier souffle", un roman de fantasy humoristique chez Actu SF en 2020.

Conversation sur l'esprit critique avec Thomas C. Durand, cofondateur de l'Association pour la science et la transmission de l'esprit critique (ASTEC), à propos de l’éducation aux médias et à l’information (EMI)
Interview

Après son intervention lors  de la journée d’étude organisée le 25 novembre 2020 par l’Enssib et l’Inspé de l’Académie de Lyon, Thomas C. Durand, cofondateur de l'Association pour la science et la transmission de l'esprit critique (ASTEC), partage sa définition du débunkage et sa vision de la vulgarisation scientifique à l’heure de l’éducation aux médias et à l’information (EMI).

1/ Vous utilisez le terme de débunkage dans vos vidéos. Pouvez-vous définir ce terme ?
Thomas C. Durand : Le débunkage est l'analyse critique d'un discours, d'un scénario, d'une allégation. Factuel et frontal le débunkage est l'exercice qui met à l'épreuve un récit (une théorie du complot, une pseudo-science, une thérapie illusoire, etc.) et propose quand c'est possible une explication alternative, rationnelle et scientifique aux faits, aux interprétations ou aux ressentis sur lesquels sont construits les discours critiqués.

2/ Quels sont pour vous les enjeux du débunkage dans l’univers médiatique contemporain ?
T. D. : Le débunkage n'est qu'un des outils dans notre boîte, il ne fait pas tout, il n'est pas toujours la bonne méthode, notamment parce qu'il est d'emblée vécu comme une agression par une frange de la population très attachée aux croyances disséquées et réfutées. Il reste néanmoins très utile, surtout s'il est bien sourcé et renvoie vers d'autres contenus où le spectateur peut trouver des réponses plus complètes et structurées. Le débunkage a aussi un rôle de fanal, de point de rencontre pour des gens dont l'environnement est envahi par la croyance (dérive sectaire, idéologies extrêmes...) et qui peuvent se sentir très seuls dans leur mode de pensée. Avoir un contenu qui met des mots, des images, des explications sur des idées et des doutes qui sont aussi les leurs est très important pour leur permettre de gérer les interactions avec leur entourage. Le debunkage est un contrepoids aux contenus "bullshit', aux fake news, aux fausses sciences, aux faux experts, gourous et coachs de vie, aux pratiques de manipulation mentale, aux démagogismes... Mais c'est un contrepoids modeste parce que les récits trompeurs ont pour super pouvoir de pouvoir se transformer jusqu'à être séduisants et efficaces. Le debunkage n'est donc qu'une solution très partielle. Il faut surtout de la pédagogie.

3/ Vous êtes spécialiste de la zététique, l’art du doute. En quoi des compétences dans ce domaine permettent d’appréhender l’univers médiatique contemporain?
T. D. : On n'a jamais eu autant de choix dans les sources d'informations. Cette pluralité est a priori une excellente nouvelle, mais le revers de la médaille c'est que plus on choisit, plus on se trompe. Les offres de réinformation émanant de personnes ou de groupes aux compétences diverses, aux objectifs pas toujours évidents, aux méthodes incontrôlées se multiplient. On ne peut pas espérer régler ça par la censure. On ne peut pas empêcher les contenus trompeurs d'exister et d'exercer une attraction envers une partie non négligeable du public. La solution est certainement du côté de l'autonomie intellectuelle : il faut entraîner les gens à se poser de bonnes questions, à douter de manière raisonnable, à y trouver de la satisfaction, une valorisation personnelle et sociale, édifier une sorte d'immunité collective aux balivernes. Les outils intellectuels de la zététique peuvent y contribuer.

4/ Vous avez le talent de rendre accessible des notions complexes. Comment définiriez-vous la dimension pédagogique de votre démarche de vulgarisation scientifique ?
T. D. : On ne peut pas tout expliquer à tout le monde. Parce qu'il faudrait un temps infini et des compétences en proportion. En revanche, on peut souligner l'insuffisance des explications disponibles, l'évolution des connaissances sur tel ou tel sujet, la prudence avec laquelle il faut considérer le "vrai" étant donné que l'humanité continue de s'apercevoir qu'il reste beaucoup à découvrir. Il faut adopter une humilité épistémique qui consiste à accepter, de temps en temps, de ne pas savoir. C'est un peu frustrant, mais c'est à long terme beaucoup plus efficace que de courir après les balivernes pour rétablir la vérité sur des faits, éclaircir des confusions, tempérer des procès d'intentions, et lutter contre l'envie qu'on éprouve trop facilement de conserver une idée réfutée juste parce qu’elle nous plaît.

5/ Que pensez-vous de la notion d'Éducation aux médias et à l'information ? Auriez-vous une préférence pour un autre terme ?
T. D. : Nous vivons une ère médiatique, nous sommes quotidiennement sous l'influence de milliers de messages, de signaux qui orientent nos représentations. Être éduqué à résister aux influences pour être plus autonome tout en évitant l'illusion fatale d'être parfaitement étanche à ces influences est un travail que l'école doit désormais accomplir. Je n'ai pas les compétences ou le recul pour juger des stratégies pédagogiques qui se développent, je constate en tout cas que l'importance de ces enseignements est admise par tous.

 

Propos recueillis par Véronique Branchut-Gendron & Julia Morineau-Éboli
Le 25 janvier 2021