Visuel
photo de Xavier Gorce
Biographie

Xavier Gorce est un peintre, dessinateur et illustrateur français. Il est principalement connu comme illustrateur de presse (Okapi, Phosphore, lemonde.fr). De mai 2011 à janvier 2021, ses manchots Les Indégivrables apparaissent sur son site de Blogs hébergé sur lemonde.fr. Il travaille aujourd'hui pour diverses publications. Il intervient ponctuellement en direct pour mettre en image des échanges. Il a illustré la journée du 27 janvier 2021, Analyser les pratiques juvéniles du numérique en faisant preuve d'ouverture et d'esprit critique. Ses dessins sont disponibles en contexte dans les archives vidéo de la journée.

Conversation sur le dessin de presse, avec Xavier Gorce, peintre, dessinateur et illustrateur français, dans le contexte de l'EMI
Interview

Après son intervention à la journée d’étude organisée le 27 janvier 2021 par l’Enssib et l’Inspé de l’Académie de Lyon, Xavier Gorce, illustrateur de presse précise sa façon de travailler et partage sa vision du rôle du dessin de presse en contexte informationnel.

1/ Vous êtes dessinateur de presse depuis les années 1990. En quoi le dessin de presse permet-il d'appréhender les faits d'actualités ?

Le dessin de presse conjugue deux langages : l’image et le texte. L’image est du domaine du sensible, le texte de la raison. Le tout dans un espace réduit. Il faut donc, en maniant ces deux langages, parvenir à un propos très synthétique, très concis. Cela suppose un travail de réflexion de l’auteur en amont pour ne pas « gaspiller ses munitions ». Ainsi, le lecteur arrive dans l’information avec déjà un angle, un décryptage, un point de vue qui le questionne ou l’interpelle.

Le dessin de presse est donc, par annonce, subjectif mais de façon parfaitement visible et assumée : contrairement au reportage ou à la photo, il n’y a aucun risque de prendre une caricature pour le réel. D’une certaine façon, il est plus « honnête » et permet donc, en connaissance de cause, de s’interroger sur le réel.

Enfin, l’usage de l’humour permet une mise à distance du pathos de l’actualité pour amener le lecteur du terrain de l’émotion à celui de la réflexion.

2/ Vous avez travaillé notamment pour Le Monde, un quotidien dont le lectorat est majoritairement un public adulte. Comment réaliser des dessins de presse qui parlent aussi aux adolescents ?

Je ne vois pas de différence nécessaire à faire entre les deux publics. En tout cas, je ne les traite pas différemment. J’ai beaucoup travaillé pour la presse jeune, notamment pour Bayard (Phosphore, Okapi…) et je n’ai jamais essayé de me « mettre au niveau » du lectorat. C’est une forme de respect pour l’intelligence qu’il faut avoir mais surtout, c’est une aide à la formation de l’esprit.

Comme pour l’apprentissage du langage, je ne crois pas qu’il faille s’adresser au jeune enfant avec des mots de bébé : il faut utiliser les mots des adultes, en expliquant ceux qui sont un peu plus compliqués. C’est comme cela qu’il progresse et acquiert du vocabulaire. Pour moi, c’est la même chose pour la compréhension du dessin de presse et l’ouverture à l’actualité. Et la pédagogie autour du dessin est importante et c’est cela qu’il faut développer, plutôt que d’adapter les dessins à un public spécifique.

3/ Concrètement, comment travaillez-vous ? Votre façon de travailler a-t-elle évolué avec le numérique ? 

Même s’il m’arrive de travailler directement sur ordinateur ou sur tablette pour divers travaux, je n’ai pas réussi à me détacher de la feuille pour le dessin de presse. Je travaille comme avant : avec un papier et un crayon. Un certain rapport à l’espace. Du moins pour le dessin de base. Ensuite, je le numérise et l’adapte sur ordinateur : nettoyage, mise en couleur et au bon format.

Ce que le numérique a changé, c’est comme pour tout le monde, les moyens de communication et de transmission. Je consulte l’information par Internet et je transmets mes dessins aux rédactions sans bouger de chez moi.

4/ Vous participez à la journée d'étude intitulée Analyser les pratiques juvéniles du numérique en faisant preuve d'ouverture et d'esprit critique. Quel est votre point de vue sur l'Éducation aux médias et à l'information (EMI)?

Elle est fondamentale. Comme je le disais ci-dessus, il faut faire de la pédagogie de façon massive autour de l’information et des médias en général et, pour ce qui me concerne plus directement, le dessin de presse, l’humour et l’image.

Nul besoin de rappeler les différents drames récents ni les attaques dont sont souvent victimes les journalistes et dessinateurs pour comprendre l’urgence qu’il y a à former les jeunes à ces domaines. Il n’est que de voir le climat pesant de notre époque autour de tout ce qui touche à l’information et toutes les dérives inquiétantes qui le sous-tendent : dislocation du public en diverses bulles d’information, vérités parallèles et fake-news, glissement d’une réception raisonnante de l’actualité vers une réception émotionnelle, intolérance de plus en plus inquiétante à l’humour et au second degré, radicalisation de l’expression, pseudonimat favorisant l’insulte et l’invective…

5/ En quoi le dessin peut-il contribuer à cette éducation aux médias ?

Le dessin facilite l’accès à l’info et sa compréhension. L’humour génère du rire, donc du plaisir, de la joie – si tant est que l’on développe le « sens de l’humour » qui permet de le recevoir.

Il permet d’aborder des sujets sérieux de façon plus ludique et moins scolaire, sans être rébarbatif. Il développe la connivence et la complicité entre les jeunes. Il suscite la curiosité sur une question d’actualité, appelle à compléter l’information que l’on possède pour affiner sa compréhension du monde.

6/ Pour conclure, vous avez choisi la figure du manchot pour faire passer vos messages. Pourquoi ce choix ?

Le manchot est un animal sympathique, à la silhouette humaine, comiquement en costume uniformisé, vivant en groupes aux comportements collectifs parfois un peu grotesques, le tout sur une banquise en danger. C’est tout nous, non ?

Enfin, l’univers polaire permet une épure graphique qui me convient à la fois esthétiquement et pratiquement. Je peux dessiner rapidement et consacrer plus de temps au choix des mots.

Propos recueillis par Véronique Branchut-Gendron & Julia Morineau-Éboli
Le 27 janvier 2021