Jocelyn Lachance est maître de conférences HDR en sociologie à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour et membre du CNRS UMR TREE. Ses travaux de recherche portent principalement sur le devenir adulte dans la société hypermoderne. Il est notamment l’auteur de La famille connectée (Erès, 2019) et le directeur d’ouvrages collectifs, dont Penser l’adolescence. Approche socio-anthropologique (Presses Universitaires de France, 2016).
Après son intervention à la journée d’étude organisée le 27 janvier 2021 par l’Enssib et l’Inspé de l’Académie de Lyon, Jocelyn Lachance, maître de conférences en sociologie, partage son expertise sur les pratiques juvéniles des adolescents.
1- Qu’est-ce qui vous a amené à vous spécialiser dans les pratiques numériques des adolescents ?
Il y a deux raisons principales. La première est méthodologique : après une thèse sur le rapport au temps des adolescents, étudier les pratiques numériques, et en particulier la production d'image de soi, m'apparaissait comme un terrain propice, notamment pour questionner et finalement nuancer le mythe de l'instantanéité. La deuxième est liée à l'écoute que je porte aux professionnels de l'adolescence : plusieurs, déjà en 2009-2010 commençaient à s'interroger sur la diffusion d'images par les ados. Je pensais que mes recherches pourraient alimenter leurs réflexions et leurs pratiques.
2 - Dans le cadre de votre activité, quels rapports entretenez-vous avec la culture numérique dite juvénile ?
La culture numérique des ados est pour moi une manière d'interroger les modalités du devenir adulte dans le contexte hypermoderne où règne l'injonction d'autonomisation. Cela me permet d'analyser différents aspects de leur vie et de la place que l'adolescence prend dans les sociétés contemporaines, comme leur rapport au temps ou les enjeux sociaux de la reconnaissance. Cela permet aussi d'aborder des terrains diversifiés, comme actuellement, en nous intéressant au rôle du numérique dans l'engagement des jeunes en faveur de l'environnement.
3 – Selon vous l’adulte doit changer de regard sur les pratiques numériques des adolescents et des jeunes adultes et faire l’hypothèse du sens. Quels sont les enjeux de cette prise de conscience ?
Il ne s'agit pas de louanger les pratiques adolescentes, mais de se repositionner comme un interlocuteur potentiel pour échanger avec eux. En faisant l'hypothèse qu'une signification, éventuellement très importante aux yeux du jeune, explique son usage ; il est alors possible de se présenter comme un interlocuteur potentiel.
4 - Comment l'éducation aux médias et à l’information peut-elle former à la compréhension de ces enjeux ?
Elle peut en insistant sur la diversité des significations qu'une même pratique peut trouver chez différents jeunes. L’EMI peut aussi sensibiliser les professionnels aux éléments à questionner pour arriver à mieux contextualiser les pratiques des jeunes, et permettre aux jeunes de parler des motivations profondes qui expliquent parfois leur engouement.
5 – Lors de votre intervention à la journée Analyser les pratiques juvéniles du numérique en faisant preuve d'ouverture et d'esprit critique, vous avez dit : on peut se demander si les sociologues n’ont pas fait une erreur en parlant de culture juvénile du numérique.
Pouvez-vous préciser en quoi parler de culture juvénile du numérique pourrait être une erreur ?
Elle est peut-être une erreur dans la mesure où l'incidence du comportement des adultes sur celui des plus jeunes n'a peut-être pas toujours été bien analysée dans les travaux des chercheurs. La famille reste le premier lieu de socialisation, et le fait que maintenant, dans bien des cas, les parents soient autant connectés que leurs enfants nous oblige à parler aussi de culture familiale du numérique.
Propos recueillis par Véronique Branchut-Gendron & Julia Morineau-Éboli
Le 5 février 2021