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Biographie

Guillaume Gillet est psychologue clinicien et psychothérapeute, enseignant vacataire, formateur, superviseur et conférencier.
Il exerce en cabinet libéral où il utilise le jeu vidéo en psychothérapie. Il intervient également à domicile et en ligne. Il pratique actuellement au sein de l'institution psychiatrique intrahospitalière CHS Le Vinatier Bron (69). Il partage volontiers sa pratique : conférences grand public, soutien à la parentalité à l'ère numérique et interventions en colloques et journées de service. Il a publié des articles, dans des revues scientifiques à comité de lecture, indexées dans les bases de données internationales. Il s'intéresse aux mutations de la subjectivité induites par l'utilisation des technologies numériques. Il a déjà contribué à plusieurs chapitres dans l'ouvrage médiations numériques et prise en charge des adolescents, Lavoisiers (2017),
et il est le co-auteur d'un ouvrage qui sera publié en avril 2021, intitulé Le jeu vidéo pour soigner. Des résistances à l'utilisation du jeu vidéo en psychothérapie, chez Erès.

Conversation sur les pratiques numériques des adolescents, avec Guillaume Gillet, psychologue clinicien et psychothérapeute.
Interview

1- Vous êtes psychologue clinicien, spécialisé dans l’usage des pratiques numériques en thérapie. Expliquez-nous ce qui vous a amené à vous intéresser à ce type de médiation ?
J'ai commencé à jouer au jeu vidéo à l'âge de 6 ans environ. J'ai continué durant mon adolescence et même à l'âge adulte. Je l'ai mis de côté pendant plusieurs années parce que ma formation en psychologie m'avait conduit à y voir nécessairement un problème ou une contre-indication à la thérapie. Dépassant mes a priori, je m'y suis intéressé de nouveau à partir de la fin de mon cursus de formation initiale à l'Université et je me suis engagé dans un travail de recherche de doctorat sur la médiation thérapeutique par le jeu vidéo. Cette médiation m'a semblé surtout presque s'imposer avec les populations d'adolescents, mais aussi d'adultes souffrants de psychopathologies lourdes, notamment la psychose schizophrénique, ainsi que l'autisme. J'ai donc développé plusieurs cadres-dispositifs à médiation thérapeutique par le jeu vidéo, aussi bien dans une situation individuelle que dans une configuration groupale, auprès d'adolescents, d'adultes et d'enfants. Mon intérêt pour le jeu vidéo a été motivé par mes recherches sur le lien entre la sensorimotricité et les formes primaires de symbolisation, c'est-à-dire de la manière de faire revivre des traces de vécus antérieurs.

2- Dans le cadre de vos activités thérapeutiques, adaptez-vous les types de pratiques numériques utilisés en fonction du public adulte ou adolescent ?
Oui. Le cadre-dispositif repose sur un fond théorique quelle que soit la population, mais certains paramètres ainsi que certains logiciels proposés varient en fonction de l'âge et de la problématique de chaque patient.

3 – En quoi les pratiques numériques juvéniles sont-elles différentes de celles des adultes ?
Les pratiques numériques des jeunes populations sont à la fois semblables et différentes des adultes. Cependant, les utilisations se différencient selon les âges. Par exemple, les enfants peuvent utiliser le numérique dans une perspective exploratoire, de divertissement et d'information. Les adolescents et les jeunes adultes peuvent utiliser le numérique en rapport avec la problématique adolescente et les angoisses qui s'y rattachent, avec un accrochage aux écrans pour lutter contre le vide, l'ennui ou les enjeux de la rencontre avec l'autre ; une quête de sensation et d'immédiateté, en lien avec le besoin d'externaliser leur souffrance et d'exposer des aspects parfois intimes d'eux-mêmes. Le numérique peut également servir à trouver confirmation de leurs préjugés et à rationaliser leurs expériences. Beaucoup d'adultes gardent encore un rapport moins divertissant et uniquement "utilitaire et fonctionnel" avec le numérique.

4 - Comment qualifieriez-vous le regard porté par les adultes sur les pratiques numériques des adolescents ? Faut-il les accompagner pour les aider à porter un regard neuf sur ces pratiques ?
Je ne suis pas sûr que ce soit uniquement les adultes dont il est question mais nous tous. Certes l'expérience clinique révèle que parfois c'est du côté des parents qu'il faut travailler, notamment par rapport aux problèmes de régulation des temps d'exposition aux écrans ou à l'inverse à propos de certains a priori. Mais alors que pendant des années, les gens ont été trop alarmistes, je ne partage pas l'engouement actuel pour le numérique qui me semble masquer de nombreux a priori "positifs" que l'observation minutieuse ne confirme pas. Ce n'est pas parce que le jeu vidéo, et le numérique au sens large, peuvent être intéressants pour l'éducation, la pédagogie ou même la psychothérapie qu'il faut nier que certaines pratiques numériques faites même par les jeunes adultes puissent révéler une souffrance psychique voire une difficulté dans le lien à l'autre. En effet, par exemple, ce n'est pas parce qu'on a accès librement au numérique que l'on en apprend plus ou qu'on retient mieux. On peut même parfois observer que l'accès aux connaissances illimitées peut être utilisé contre l'apprentissage de quelque chose qui déplait et dont il sera facile de trouver quelque part une anti-thèse pour confirmer nos a priori.
De plus, je serais prudent sur les "bienfaits" supposés du numérique. En effet, le fait d'aborder les apports du numérique uniquement sur le plan des habiletés sociales et des compétences cognitives peut induire en erreur dans la mesure où il est possible que le numérique soit principalement utilisé afin d’augmenter certaines capacités intellectuelles alors que cela viserait d’abord à compenser, par exemple, certaines souffrances psychiques. Pour finir, l'essentiel est de ne pas perdre de vue la qualité de ce qui est intégré, ce qui implique de garder la relation intersubjective au centre des apprentissages.

Propos recueillis par Véronique Branchut-Gendron & Julia Morineau-Éboli
Le 5 février 2021